- Elle est morte.
Sans détour. Sans fioritures. Juste l'essentiel. Parce qu'il n'y avait plus de temps pour jouer avec les mots.
Le vieil homme resta silencieux.
- Lahav, nous devons partir. Ils vont venir.
- Non, c'est inutile, maintenant. Cet endroit est notre dernière cachette.
- Non ! Lahav, nous ne devons pas abandonner ! Si nous mourrons, notre race disparaitra avec nous !
- Eliram... Tu étais rabbin... Tu parlais souvent de Dieu... Alors dis-moi... Crois-tu qu'il nous regarde, en ce moment ? Crois-tu qu'il nous ait tous décimés pour nous faire renaître ensuite ?
- Dieu a puni, mais Dieu aime la vie, alors nous devons aimer la notre.
- Non, Dieu n'est pas capable d'une telle horreur, Eliram. C'est l'homme qui a fait cela.
- Ozba...
- Ozba a tué tous les juifs et il nous tuera nous aussi, alors il est inutile que tu t'inquiètes pour ta vie. Lilo est morte, maintenant, plus rien ne peut les empêcher de venir.
Lilo, c'était la maîtresse de maison. Bien qu'elle fut de sang musulman, elle avait été l'amante de Lahav, bien des années auparavant. Aussi, en souvenir du passé, elle leur avait proposé, à lui et Eliram, de les cacher dans la cave de son manoir. La police avait fini par le découvrir, mais ne pouvait agir, Lilo étant une personnalité influente. Son décès ne tarderait pas à être connu, Lahav et Eliram connaitraient alors le même funeste sort que leurs compagnons.
Cela faisait trente ans que le dictateur musulman Ozba avait décrété l'élimination de la race Juive. En trente ans, on avait pu constater combien l'humanité pouvait se révéler efficace et méthodique face à un objectif pourtant si vague. En trente ans, un demi-milliard d'êtres humains étaient morts pour la pureté de la race, et pour l'industrie. Des juifs, il n'en restait plus que deux.
- Alors, Lahav, tu comptes juste rester ici à attendre patiemment l'arrivée de la police ?
- Non, Eliram, si tu descends avec moi dans ce que tu appelles mon fouillis mécanique, tu compendra enfin ce que j'y faisais depuis tout ce temps. Si je te parle de remonter dans le temps, qu'est ce que cela évoque pour toi ?
- Le voyage dans le temps ? Un vieux rêve de l'humanité... Mais c'est impossible...
- J'y suis arrivé, sur le papier, il y a bien longtemps. Heureusement, je ne l'ai jamais dit à personne, les musulmans se seraient servis de mes travaux... Et maintenant, regarde...
Ils étaient descendus dans ce qui jadis avait dû être un ancien cachot, reconverti depuis en laboratoire. Au centre, siégeait un énorme cylindre de verre, relié à une multitude de conduits.
- Voila la machine. Pas le temps de t'expliquer. D'après mes calculs, en utilisant l'électricité du quartier, je devrais pouvoir envoyer une masse d'une centaine de kilogrammes dans le passé. Pour changer les choses.
- Lahav... Ce n'est pas une blague ? Tu peux vraiment remonter le temps ?
- Je n'en suis pas sûr, et je ne le saurai jamais, mais cela vaut le coup d'essayer.
- Tu n'en es pas sûr ? Il suffit d'essayer pour le savoir !
- Ce n'est pas si simple. Tout d'abord, la machine ne pourra fonctionner qu'une seule fois. Et ensuite, je crains qu'un corps organique ne puisse survivre au voyage... C'est donc JS qui fera le voyage.
Lahav appuya sur un bouton et un tiroir s'ouvrit. A l'intérieur, se trouvait un petit garçon de 6 ou 7 ans.
- Un robot ! Ils sont interdits depuis des années ! Où l'as-tu trouvé ?
- Il était ici quand nous sommes arrivés. Je l'ai réparé moi-même. Il est incroyable ! Il possède même les trois lois !
- Je me souviens... Première loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, laisser un humain subir un dommage. Deuxième loi : Un robot doit obéir aux ordres d'un humain, sauf si ces ordres sont en contradiction avec la première loi. Troisième loi : Un robot doit protéger sa propre existence, dans la mesure où cela n'est pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.
- C'est cela, c'était le principe de fonctionnement de tous les robots, leur cerveau était la seule différence qu'ils avaient avec un être humain, cela les rendait totalement dociles et inoffensifs...
- Pourquoi les a-t'on interdits ?
- Parce qu'une société basée sur le commerce, la croissance et le capital porte de nombreux dommages aux êtres humains. Les robots auraient fini par prendre le contrôle du pouvoir pour préserver les humains de l'inégalité, ce que certains ne souhaitaient pas. C'est grâce à l'un d'eux que nous sauverons l'humanité...
- Tu veux donc corriger l'oeuvre de Dieu, te penses-tu meilleur que lui ?
- Je pense que demain, quand le soleil se lèvera, il n'y aura plus de juifs sur Terre. Je pense qu'une culture entière aura disparu. Et je pense que l'humanité cherchera alors un nouveau bouc émissaire pour assouvir son besoin de sang. Je veux sauver la race juive, je veux empêcher le massacre, l'holocauste...
- Soit... Alors remonte le temps et tue Ozba à sa naissance.
- C'est impossible, un robot ne peut tuer un être humain.
- Je suis sûr qu'il peut le faire, si cela permet de sauver de nombreuses vies...
- Non, il ne peut pas. Il ne peut être certain qu'une telle action sauvera des vies. Cela ne servirait à rien. Si Ozba n'était pas venu au monde, c'est un autre qui occuperait actuellement sa place. De plus, on ne peux pas tuer un homme qui n'est pas encore coupable. Non, on ne détruit pas la haine par la haine. Je crois que le seul moyen de préserver le monde d'une telle horreur, c'est de leur envoyer un message d'avertissement. Un message fort. Un message d'amour.
- L'idée est plaisante... Mais crois-tu vraiment que les hommes seront convaincus par le robot ?
- C'est la meilleure solution. Je suis certain que ça marchera.
- A quelle époque comptes-tu l'envoyer ?
- Le plus loin possible, je pense pouvoir le faire voyager de quelques millénaires, tout aun plus... Maintenant, il est temps d'y aller. Robot JS !
Le petit garçon se redressa et, tournant sa tête vers Lahav, dit :
- Oui, professeur ?
- JS, tu as été créé pour sauver le monde. Pour cela tu te mêlera aux hommes et tu répandra l'amour et la paix autour de toi. Pour que les hommes t'écoutent, tu dois être comme eux. Ainsi, je t'ai créé enfant. Comme eux tu grandira, comme eux tu mourra. Tu es fait de chair, comme eux. Ta seule différence est ta notion du bien. Je veux que les lois de la robotique deviennent les lois de l'humanité. Pour cela, je vais te donner un nom. Désormais, tu t'appelleras Jésus.
Le robot se leva et dit :
- Je m'appelle Jésus, et je suis le fils de l'Homme.
Il se plaça alors sous le cylindre de verre et enclencha la machine, qui entra en surchauffe et explosa à l'instant même où il disparaissait dans une tornade électrique.